Wolfgang Master contre le Père Noël
Chaque année à l’approche du 25 décembre, c’est l’angoisse. Celle qui constipe, donne l’impression d’avoir perdu les trois quarts de ses poumons et agite le sommeil avec des cauchemars oppressants. Cette nuit encore, Wolfgang Master s’est tiré le traîneau du Père Noël tout seul alors que le gros barbu et ses rênes se bourraient la gueule à l’arrière, affalés sur d’immenses sacs de cadeaux. Il en veut à mort au Père Noël. S’il en avait l’opportunité, il lui épilerait la barbe à la cire.
L’angoisse et la rage de Wolfgang Master n’ont rien à voir avec un hypothétique traumatisme de l’enfance : jamais il n’est monté sur les genoux d’un Père Noël lubrique et il ne se rappelle même plus de la nuit où il prit ses parents en flagrant délit de dépôt de cadeaux sous le sapin. Si Wolfgang Master déteste le Père Noël, c’est surtout parce qu’il le considère comme un ennemi politique redoutable, une sorte de super champion de la mondialisation capitaliste doublé d’un pollueur hors pair.
En cela, on ne peut pas donner tout à fait tort à Wolfgang. Autant on peut s’exciter sur le sourire énigmatique de Mona Lisa, autant celui du Père Noël ne laisse pas l’ombre d’un doute. Il a l’éclat cristallin d’un tiroir-caisse qui fait "ding !" et éclaire un visage rond comme une panse de bourgeois. Adéquation parfaite de la forme et du fond - de l’allure et du message - le Père Noël est le héraut d’une société de consommation dans laquelle les gens sont poussés à acheter des biens dont ils n’ont pas besoin pour des personnes qui n’en n’ont sans doute pas l’utilité non plus ! Mais qu’attendre d’autre d’un personnage tout droit sorti d’une pub pour Coca-Cola ?
Inutile de dire que le Père Noël se moque royalement des conséquences qu’a son message ultra consumériste sur l’environnement, lui qui pousse le vice jusqu’à inciter au gaspillage d’énergie en favorisant l’apparition de décorations de plus en plus gourmandes en électricité.
Pour toutes ces raisons et encore bien d’autres (sentiment d’exclusion des familles pauvres, hécatombe de volailles et de saumons, vieux fond catholique), Wolfgang Master se prépare à célébrer Noël avec un sac de nœuds à la place des tripes. Bien calés dans le coffre de sa voiture, les cadeaux qu’il a acheté pour ses neveux, sa sœur, ses parents, ses oncles, ses tantes et ses cousins attendent patiemment d’être glissés sous le sapin. Cette année encore, le Père Noël a gagné.